« ZINA MURUNDI », c’est une interpellation à tous les citoyens

Les Burundais sont appelés à dépasser leurs différences et à plus de solidarité pour restaurer leur mère patrie. Ce sont du moins les propos portés dans la chanson nouvellement sortie par Daniel Ngendakumana, artiste burundais et défenseur des droits de l’homme. Une chanson parue juste après les élections communales et législatives qui viennent de se dérouler au Burundi. Entretien avec Daniel Ngendakumana, réalisé par Josiane Muzaneza
Josiane Muzaneza : Daniel Ngendakumana, vous venez de sortir une chanson intitulée ‘’ZINA MURUNDI’’. Pourquoi cette appellation et d’où avez-vous tiré l’inspiration qui vous a conduit à créer ce chef-d’œuvre ?
Daniel Ngendakumana : Tout artiste puise son inspiration surtout dans son environnement et les personnes qui l’entourent. Dans le contexte actuel du Burundi, j’ai observé attentivement la préparation de cette mascarade électorale de 2025, les stratégies qui ont été mises en place notamment le code électoral qui limite les candidats indépendants et la dissolution de certains partis. J’ai également échangé avec de nombreux burundais sur les problèmes du pays et les solutions possibles. J’ai remarqué que certains défis nous concernent tous, indépendamment de nos différences. Et c’est ainsi que j’ai recueilli les aspirations des burundais et les ai transformé en cette œuvre artistique accompagnée d’une vidéo pour qu’elle puisse atteindre le plus grand nombre. Et pour ce qui est du titre, ZINA MURUNDI signifie tout citoyen murundi, et le contenu de cette œuvre concerne tout murundi.
Josiane Muzaneza : Cette chanson coïncide avec le récent scrutin burundais, un scrutin très contesté par l'oppostion car émaillé de beaucoup d’irrégularités et tricheries. Peut-on dire qu’il y a un lien entre votre chanson et ces élections ?
Daniel Ngendakumana : Evidemment. Cette chanson a été écrite en pleine préparation de cette mascarade, inspirée des réactions que j’ai recueillies auprès des citoyens. J’avais auparavant sorti une autre chanson intitulée ‘’KAMARAMPAKA’’ qui était accès sur l’éducation électorale, la responsabilité du vote et les conséquences du mauvais choix. Malheureusement, beaucoup ne l’ont pas comprise à l’époque. Aujourd’hui après cette mise en scène, les gens réalisent que le processus était biaisé et que les électeurs ont été contraints de jouer un rôle dans une comédie bien orchestrée. Voilà la liaison qui est entre cette œuvre et la mascarade électorale en cours.
Josiane Muzaneza : En composant cette chanson, quel message vouliez-vous transmettre aux burundais ?
Daniel Ngendakumana : Cette chanson, ce slam, ce poème, comporte essentiellement 3 messages. D’abord, je m’adresse à tous les burundais au-delà des frontières régionales, au-delà des origines pseudo-ethniques et au-delà des croyances religieuses. Ce qui nous uni, c’est-à-dire la langue, la culture, l’histoire commune, tout ça est plus fort que ce qui nous divise. Aujourd’hui alors que notre pays vacille, il est temps de dépasser les distinctions qui nous ont été imposées et de nous rappeler que nous sommes les enfants du Burundi, une nation que nous devons protéger et restaurer. Mais ce qu’on voit, c’est que partout autour de nous, un silence lourd s’est installé. C’est ce silence alors que j’ai voulu transmettre. Le silence des citoyens qui ne parlent plus. Les politiciens qui se taisent. Les militaires qui observent sans agir. Et pendant ce temps, notre mère-patrie souffre. La pauvreté s’étale et les impôts écrasent. L’économie s’effondre. Notre environnement se dégrade et les terres sont inondées et les récoltes détruites. Pourtant, ceux qui gouvernent détournent les yeux pendant que le peuple endure. Et face à cette réalité, je pose une question essentielle : toi, en tant que burundais, que fais-tu pour ton pays. Voilà en gros le message véhiculé dans cette chanson.
Josiane Muzaneza : Dans cette même chanson, vous faites ressortir l’envie de s’exiler que partagerait beaucoup de burundais. Qu’est-ce qui vous a conduit à une telle conclusion alors que les autorités ne cessent de chanter la paix recouvrée et le développement dans tous les secteurs,
Daniel Ngendakumana : A travers les témoignages et les renseignements qu’on trouve partout, c’est confirmé que si obtenir un passeport était plus facile, une grande partie de la population aurait déjà quitté le pays. De nombreux burundais cherchent des moyens d’émigrer vers des destinations telles le Canada, la Zambie, même dans les pays en conflit comme la RDC, espérant un avenir meilleur ailleurs. Vous vous souvenez du cas de la Serbie et de certains pays arabes. Cette réalité contraste avec le discours officiel qui vante la stabilité nationale. Pourtant, certains secteurs économiques comme le tourisme, peinent à se relever. Ce qui prouve que la situation n’est pas florissante qu’on le prétend.
Josiane Muzaneza : Vous dites dans votre chanson que tous les efforts consentis jusqu’à présent par les burundais ont été réduits à néant. Voulez-vous dire par là qu’il n’y a plus d’espoir et que les burundais devrait se résigner ? Si non, qu’est-ce qui devrait être fait pour arriver à un changement significatif ?
Daniel Ngendakumana : Vous savez, les burundais font face à de nombreux obstacles. Les citoyens ordinaires n’ont en fait que peu de pouvoir et leur influence se limite au vote. Or, quand ce processus est verrouillé et manipulé, il devient inefficace et cela pousse les gens à envisager d’autres moyens de transformation sociale et politique. Dans l’histoire du pays, il y a toujours eu des moyens de remettre en question le system en place. Autrefois, les rois étaient démis lorsqu’ils échouaient à gouverner. Aujourd’hui encore, les burundais s’interrogent sur la meilleure manière de restaurer la justice et l’équilibre du pays. Mais quel que soit la voie choisit, il est essentiel que la population reste unie car les solutions ne peuvent venir que d’un effort collectif. Et là il y a interpellation des forces de défense et de sécurité, partout où elles se trouvent, à l’intérieur ou à l’extérieur. Il est temps d’appliquer ce que la loi exige. Je rappelle que la loi stipule que les forces de défense et de sécurité ont la mission de restaurer la stabilité lorsqu’il y a le désordre dans le pays. Ça c’est une mission que tout homme en uniforme devrait faire sienne comme ce fut d’ailleurs le cas de feu Général-Major Cyrille Ndayirukiye. Il ne faut pas oublier aussi que l’un des préambules de la charte internationale des droits de l’homme stipule que tout citoyen doit être protégé par un état de droit afin qu’il ne soit pas contraint de prendre des armes.